19 August 2006

Vi(ll)es irréelles

(tiré du Monde libertaire, hors-série n°30, du 13 juillet au 14 septembre 2006)
Haute surveillance ou haute sécurité ? Tout dépend du point de vue où l'on se place. C'est-à-dire de la place que l'on occupe dans l'espace social et, donc, physique. Pour les nantis, des enclaves huppées autosurveillées ; pour les démunis, des zones de relégation hypercontrôlées. Dans les unes, Big Brother veille sur les habitants ; dans les autres, il les surveille. Entre les deux, un « espace public » où le citadin est convié à se convertir en public d'un spectacle urbain préservé de toute irruption intempestive de l'altérité, comme si, par compensation avec les zones résidentielles aménagées et gérées en fonction de la « guerre sociale de faible intensité » menée contre les « parias » de la nouvelle civilisation urbaine, celle-ci devait prouver son existence et son excellence dans des « bulles touristiques » de « forte intensité » culturelle, ludique et, bien entendu, marchande.
[...]
« Parmi les membres plus jeunes de la classe moyenne », observe Mike Davis, « la vie dans les ghettos dorés et les banlieues protégées, l'expérience subjective de plus en plus réduite à la sphère privée » ont engendré « une envie de foules, de rues animées et de spectacles ». D'où « un appétit croissant pour les espaces publics à l'échelle du piéton », une « demande de sensation urbaine sur laquelle les mégacorporations du divertissement comme MCA ou Disney peuvent capitaliser en recréant quelques aspects trépidants de la ville à l'intérieur sécurisé de leurs parcs d'attractions ». Une vie urbaine rêvée qui peut, il est vrai, tout aussi bien avoir pour cadre, comme cela est devenu courant dans bien d'autres métropoles mondiales, certains espaces publics ou quartiers historiques « requalifiés », c'est-à-dire embellis et socialement « assainis » à coups de « rénovations » ou de « réhabilitations », donc, sécurisés, pour accueillir des citadins « de qualité ». Quant aux catégories d'habitants bas de gamme, leur présence ne sera tolérée que sous la forme d'une « armée d'employés mal payés, en grande partie invisibles », venus des zones de relégation résidentielle plus ou moins éloignées où ils sont parqués pour « faire tourner la machine de l'irréalité ».

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